avec Max Junqua

En direct et en public, Campus FM investit le pôle actualité de la médiathèque José-Cabanis pour un second épisode hors-les-murs.


Certaines personnes cumulent des privilèges comme on cumulerait des bons points, mais sans avoir besoin de les gagner. Ils sont tout simplement offerts à la naissance / cadeau / livrés avec le bébé : blanchité, cis-identité, validité, bourgeoisie, etc. Or, tout le subterfuge consiste à passer sous silence ce système induit de points et faire croire à une société juste et équitable ; au pire méritocrates – si tu réussis dans la vie, c’est que tu l’as mérité, si tu échoues, c’est que tu n’as pas fait le nécessaire. Ce qui a pour résultante que, passant à la caisse avec leurs bons points, les personnes privilégiées ne comprennent pas pourquoi, soudainement, telle ou telle mesure sont prisent pour en encourager, aider, visibiliser, accompagner d’autres – on commence à se scandaliser doucement : mais c’est quoi cette histoire d’égalité des chances dans les grandes écoles ? Puis plus fortement : on ne peut plus genrer (et au passage) mégenrer les gens tranquillement… Mais où va le monde ! ou encore : l’écriture inclusive, c’est vraiment illisible ! Sous-titre : ne touchez pas à nos privilèges ! Et de fait, il y en a qui ont tout intérêt à défendre leur nonos à force dent avant que l’imposture ne soit mise à nu. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut être armé de suffisamment de privilèges pour avoir le privilège ultime de craindre de les perdre ; pour les autres, il y a plus à de droits et de sécurité à acquérir que de privilèges sur la sellette. Dès lors, que penser d’une société qui ne réfléchit pas à l’accessibilité et l’inclusivité de ses institutions culturelles – haut lieu du savoir, de la transmission, de l’apprentissage ? Que penser d’une bibliothèque qui refuserait, par exemple, d’appliquer à sa structure une lecture intersectionnelle des oppressions systémiques à l’œuvre dans la société. Il faut donc continuer de relever tous les progrès qu’il reste à accomplir. Ne pas hésiter également à saluer les initiatives qui existent déjà. Et ce midi, pour illustrer mon propos, j’ai le plaisir d’accueillir Max Junqua ; mais ce serait plus juste de dire que c’est lui qui m’accueille puisque je suis sur son lieu de travail aujourd’hui – à savoir la médiathèque José-Cabanis.


J’ai eu moi-même quelques émois avec des livres que je n’oublierai pas. Par exemple, j’ai un souvenir très précis de ce à quoi ressemblait la bibliothèque de mon collège et particulièrement de cet ouvrage, plutôt épais, en hauteur et dans lequel je lisais des témoignages d’adolescent.es sur la masturbation, ce qui me confirma que je n’étais ni seul.e, ni malade ou détraqué. Est-ce qu’on peut dire que je fus sauvé ? Quelque part oui. Et que dire de cette fois où, me livrant à une déambulation dans une librairie, je tombais nez à nez avec la couverture de la bande dessinée de Jules Maroh, “Le bleu est une couleur chaude”. Je compris uniquement à la couverture que ce livre parlait de moi. J’avais le cœur badaboum dans la poitrine qui s’affole. Et comme j’étais venue avec ma tante, je l’ai esquivé, à peine touché, remis à – des années plus tard. Est-ce qu’on peut dire qu’il me manquait un manque d’accès à cette littérature que je pensais encore interdite et qui devait pourtant me permettre de me rencontrer ? La réponse est encore oui. Je ne peux que me réjouir d’imaginer, qu’à l’avenir, les bibliothèques, les théâtres, les cinémas, les centres culturels vont être de plus en plus sensibles à l’accueil d’un public vraiment représentatif de la société dans toute sa diversité. Qu’il ne faudra plus craindre d’être mégenré.e. Que les accès pmr se seront démocratisés. Qu’il sera possible de voir des films, lire des livres, réalisés ou écrits pour et par des personnes concernées, sans misérabilisme ni propos stigmatisant. Merci Max Junqua pour votre présence et merci à la médiathèque José-Cabanis pour son accueil. 


– Alice Baylac
dans La Midinale, saison 2021-2022.